Prononcée devant le peuple dans la basilique de saint Étienne, martyr, au sujet des apôtres.
1. Il est évident pour tous, frères très chers, que notre Rédempteur est venu dans ce monde pour la Rédemption des païens, et nous voyons chaque jour des Samaritains appelés à la foi; quelle raison y a-t-il donc pour qu'en envoyant ses disciples Il leur dise : "Ne vous en allez pas dans les régions des païens, n'entrez pas dans les villes des samaritains, mais allez plutôt vers les brebis perdues de la maison Israël ? Nous devons en conclure qu'Il voulait que l'on prêchât d'abord à la Judée seule et ensuite seulement à tous les païens. Ainsi quand cette Judée appelée en premier aurait refusé de se convertir, les saints prédicateurs iraient appeler les païens; ainsi la prédication de notre Rédempteur, après avoir été repoussée par les juifs s'adresserait aux peuples païens et étrangers. Et ce qui arriverait ainsi aux juifs en témoignage de la promesse, deviendrait pour les païens un accroissement de grâces. À ce moment-là en effet c'était le tour de ceux qui devaient être appelés de la Judée, ce n'était pas le tour de ceux qui devaient être appelés des nations païennes. Dans les actes des apôtres nous lisons qu'à la prédication de Pierre, d'abord trois mille juifs ont cru, et ensuite cinq mille. Lorsque les apôtres ont voulu prêcher aux païens en Asie, ils se sont souvenu que cela avait été interdit par l'Esprit; et cependant ce même Esprit qui d'abord avait interdit la prédication, l'a fait pénétrer ensuite dans le coeurs des asiatiques. Et maintenant c'est depuis longtemps que toute l'Asie a trouvé la foi. Par conséquent il a d'abord interdit ce qu'ensuite il a fait faire parce qu'alors vivaient en Asie des gens qui ne devaient pas être sauvés. Il y en avait alors dans cette région qui ne méritaient pas d'être ramenés à la vie, ni d'être jugés lourdement à cause d'une prédication dont ils n'auraient pas tenu compte. Par un jugement judicieux et mystérieux la prédication sainte est refusée aux oreilles de certains parce qu'ils ne sont pas dignes d'être guéris par la grâce. Il est donc nécessaire, frères très chers, que dans tout ce que nous faisons, nous respections les desseins cachés de Dieu tout puissant - desseins qui nous dépassent - et cela pour éviter que, si notre âme dispersée au-dehors ne renonce pas à ses plaisirs, Dieu ne lui ménage au-dedans de terribles adversités. C'est ce qu'observe bien le psalmiste : «Venez et voyez les oeuvres du Seigneur. Que ses desseins sur les fils des hommes sont redoutables !» (Ps 45,9 et 65,5). Car le psalmiste a vu que l'un est appelé avec miséricorde alors que l'autre est repoussé par une justice exigeante. Et parce que le Seigneur dispose les destinées, les unes avec ménagement, les autres avec colère, le psalmiste s'est effrayé devant ce qu'il n'a pas pu comprendre. Ayant vu Dieu non seulement impénétrable mais même parfois inflexible sur certains points, alors il nous rappelle que le Seigneur est terrible dans ses décisions.
2. Écoutons ce qui est prescrit aux prédicateurs envoyés en mission : «En allant, prêchez, dites que le royaume des cieux est proche.» Cela frères très chers, même si l'évangile le taisait, déjà le monde le proclame, car ses ruines sont la voix de Dieu. Ce monde tout broyé par tant de coups s'est écroulé après une période glorieuse, comme si déjà il nous annonçait l'approche de cet autre monde qui suivra. Déjà il est plein d'amertume pour ceux qui l'aiment. Ses ruines montrent qu'on ne doit pas l'aimer. En effet si une maison menaçait ruine, celui qui l'habiterait prendrait la fuite; et celui qui l'avait aimée quand elle était debout se hâte de la quitter au plus vite quand elle s'écroule. Si donc le monde s'effondre et que nous lui restons attachés en l'aimant, c'est qu'en réalité nous aimons mieux être écrasés que de l'habiter, car rien ne nous préservera de sa ruine puisque son amour nous tient liés à ses souffrances. Maintenant que nous voyons toutes ces destructions, il est donc facile d'éloigner notre coeur de l'amour du monde. Mais cela était plus difficile au temps où les apôtres étaient envoyés prêcher le royaume invisible des cieux, alors que partout ils voyaient tous les royaumes de la terre florissants.
3. C'est pourquoi des miracles accompagnaient les saints prédicateurs, pour que la puissance qu'ils montraient donne foi à leurs paroles, et que ceux qui prêchaient des choses nouvelles fassent aussi des choses nouvelles, comme il est dit plus loin dans le même texte : «Guérissez les malades ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons.» À cette époque le monde était florissant, la population humaine s'accroissait, on vivait vieux, la prospérité était partout : Qui en entendant des paroles aurait cru à une autre vie ? Qui aurait préféré les choses invisibles aux visibles ? Mais en ramenant les infirmes à la santé, en rappelant les morts à la vie, en rendant aux lépreux la pureté de leur chair, en délivrant d'autorité les possédés des esprits immondes, en faisant tant de miracles visibles, qui n'aurait pas cru ce qu'il entendait au sujet des réalités invisibles ? Ajoutons encore ceci : Les miracles visibles étincellent pour que les témoins soient poussés à croire aux réalités invisibles, et donc pour que par tous ces faits admirables extérieurs à nous, ce qui est bien plus admirable encore - l'action de la grâce - soit ressentie au-dedans. D'après ce que dit l'apôtre des nations : «Le don des langues est un signe non pour les fidèles mais pour les infidèles» (1 Cor 14,22). C'est ainsi que le célèbre prédicateur a ressuscité par la prière devant beaucoup d'infidèles le jeune Eutychus qui s'était endormi pendant la prédication : étant tombé par la fenêtre, il était bien sûr tout à fait mort. Venant à Malte et sachant l'île remplie d'infidèles, il guérit par la prière le père de Publius qui était fortement tourmenté par la dysenterie et les fièvres. Par contre il ne guérit pas par la parole son compagnon de voyage, son adjoint dans la sainte prédication Timothée qui souffrait de maux d'estomac; mais il le rétablit par la médecine en lui disant : «Prends un peu de vin à cause de ton estomac et de tes fréquentes maladies.» (1 Tim 5,23). Pourquoi celui qui guérit le malade infidèle par une seule prière ne fortifie-t-il pas par la prière son compagnon malade ? C'est que certainement pour guérir le premier qui intérieurement n'avait pas la vie il fallait un miracle extérieur; et cela afin que par la démonstration de cette puissance extérieure une force intérieure l'amène à la vie. Mais des miracles extérieurs n'avaient pas à être montrés à son fidèle compagnon malade dans son corps, puisque sa vie intérieure était saine.
4. Mais après avoir donné le pouvoir de prêcher, après avoir accordé les merveilles des miracles, écoutons ce que notre Rédempteur nous ordonne : «Ce que vous avez reçu gratuitement, donnez-le gratuitement.» En effet il prévoyait que quelques-uns utiliseraient le don reçu de l'Esprit pour en faire commerce, et détourneraient de leur but les signes des miracles en cédant à la cupidité. Ce fut en effet le cas de Simon le magicien, qui voyant les miracles faits par l'imposition des mains, voulut acheter par de l'argent ce don du saint Esprit, pour pouvoir revendre encore plus injustement ce qu'il aurait acquis injustement. Aussi notre Rédempteur chassa-t-il du temple les foules avec un fouet de cordelettes, renversant également les tables des marchands de colombes. Car vendre des colombes, c'est prétendre communiquer le pouvoir de donner le saint Esprit par l'imposition des mains, non en vue de la vie éternelle mais pour gagner de l'argent. Mais il en est quelques-uns qui, bien que ne recevant pas de l'argent pour donner l'ordination, donnent cependant facilement les ordres sacrés pour obtenir les bonnes grâces de certains, cherchant seulement la considération en récompense de leur largesse. Ceux-là assurément ne donnent pas gratuitement ce qu'ils ont reçu gratuitement, car en conférant cette fonction sainte ils en attendent quelque rétribution. C'est pourquoi le prophète dit bien en décrivant le juste comme : "celui qui éloigne sa main de toute faveur". (Ps 33,15). Il ne dit pas celui qui éloigne ses mains d'une faveur, mais il précise de toute faveur, car il y a faveur par complaisance, faveur par la main, faveur par la langue. La faveur par la complaisance c'est la soumission empressée et indue; la faveur par la main, c'est l'argent; la faveur par la langue, les compliments. Donc celui qui confère les ordres sacrés éloigne ses mains de toute faveur lorsqu'il ne demande pour ces choses divines ni argent ni reconnaissance humaine.
5. Mais vous, frères très chers, retenus dans le siècle par votre situation, puisque vous connaissez quels sont nos devoirs, ramenez les yeux de votre âme sur vos propres devoirs. Accomplissez-les tous gratuitement les uns envers les autres. Ne cherchez pas à être récompensés en ce monde pour votre travail, en ce monde dont vous apercevez déjà la disparition très prochaine. De même que vous vous détournez d'une mauvaise action de peur que d'autres ne la voient, de même veillez à ce que vos bonnes actions ne soient pas flétries par les louanges humaines. En tout cas ne faites jamais le mal et ne faites pas le bien pour en obtenir une rétribution sur terre. Cherchez comme témoin de vos actions celui-là précisément que vous avez au-dessus de vous comme juge. Qu'il voie vos bonnes actions qui sont maintenant secrètes pour qu'il les montre en public à l'heure de la récompense. Chaque jour vous prenez des aliments pour nourrir votre corps afin qu'il ne défaille pas; ainsi, que vos bonnes oeuvres soient les aliments quotidiens de votre âme. Le corps est nourri par l'aliment, l'âme est nourrie par l'oeuvre sainte. Ce que vous offrez au corps qui doit mourir ne le refusez pas à l'âme qui doit vivre dans l'éternité. En effet si un incendie soudain détruit une maison, son propriétaire quel qu'il soit prend précipitamment ce qui a de la valeur et s'enfuit. Il considère comme un gain ce qu'il a arraché au feu et emporté avec lui. Voici que maintenant la flamme des tribulations ravage le monde et tout ce que nous y voyons de brillant. Une fin toute proche le guette comme un feu. Donc frères très chers, croyez que vous faites un gain considérable si vous emportez avec vous quelque chose de ce monde, si en vous enfuyant vous sauvez quelque chose, si en donnant libéralement vous conservez pour votre récompense éternelle ce qui laissé là ne pouvait qu'être perdu. En conservant toutes les choses terrestres nous les perdons, mais en les donnant largement nous les conservons. Le temps fuit très rapidement. Donc puisqu'il nous faudra par une nécessité fort désagréable voir bientôt notre Juge, préparons-nous sans retard par de bonnes actions, avec l'aide de notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne dans les siècles des siècles, amen.